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Lettres d'Extremadoure
28 avril 2011

Mélancolie au sud

Annick Le Scoëzec Masson, Mélancolie au Sud, Paris, L’Harmattan, Collection Ecritures, 2004.

 

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 Il s’agissait d’évoquer certaines atmosphères à la fin des années soixante d’une petite ville française (Rochefort-sur-Mer), - ses architectures altières et nostalgiques, hantées par la présence de Pierre Loti, les jardins abandonnés de ses faubourgs, ses bords de fleuve engourdis -, mais qui semblait alors si éloignée des convulsions de l’Histoire que Mai 68 y arrivait atténué comme les vagues mourantes d’un lointain raz-de-marée…

C’était il y a si longtemps serait-on tenté de dire au mépris du temps « objectif » des calendriers, un temps immobile qui ne connaissait pas le téléphone dans tous les foyers et où, seules, deux ou trois chaînes de la télévision nationale, diffusant leurs programmes au plus tard jusqu’à minuit , servaient de relais…

Heures quasi léthargiques des étés où le passage d’un vélosolex, poignardant la torpeur des après-midi, semblait annoncer une réalité proche, mécanique et absurde, étrangère aux joies intimes et aux furtives tristesses, et que personne alors ne croyait sur le point d’advenir…

Car c’était le moment où l’ennui, précieux comme la conscience d’exister, ouvrait la porte au désir, à la soif de connaître et de partir vers des mondes pérennes et scintillants où l’imagination sans relâche voguerait…  

Mélancolie au Sud ou les états d’une adolescence à l’un des bouts du monde, en ces terres plates et infinies de la Charente Maritime, mais aussi, cet état de la « ferveur retombée » aurait dit le Gide voyageur des Nourritures terrestres, rêve douloureux d’un ailleurs devenu inaccessible et pourtant toujours brûlant dans la chair de la mémoire familiale : l’Algérie des origines, territoire mythifié parce qu’interdit, son histoire occultée, sa confuse tragédie…

Alors soudain, faisant irruption dans les méandres du temps intérieur et les états délectables de la mélancolie, - c’était un soir de fête nationale, un soir de 14 juillet - , parut le marin de Rochefort.  

Une nuit de 14 juillet le marin parut, imprévisible et banal comme le drame. Sans un bruit, le monde alors bascula…

 

Extraits


  - Il vaudrait mieux s’arrêter au pied des murailles.

  -Pourquoi ?

  -Une superstition. Je ne veux pas prendre le risque.

    Le vol d’un héron stria le bleu. Il cligna des yeux du côté de Brouage qui lui apparaissait tout à coup comme le mirage d’une ville après une longue traversée de désert. Il cilla sur la violente explosion des couleurs autour d’eux, eut la brutale impression que les rouges hurlaient. Il se rendit compte tout à coup : « Mon Dieu, il n’y a pas un seul arbre ici ! »
Elle soupira, s’épongea à son tour le front d’un air accablé : « Les rêveurs, moi, à la longue, qu’est-ce que ça me barbe ! »

                                 

 Juste au loin, dans une échancrure, une fine marge de lumière faisait trembler l’horizon. Elle commença à le chercher. L’appela. Écarta des feuilles, suivit des sillons, fit craquer la terre déshydratée. Il était là, quelque part, en un point qui serait forcément, qui ne pourrait manquer d’être le cœur du jardin. Il s’essuyait le front, soufflait, appuyé sur sa bêche. Un bref rayonnement traversa son visage. Sans entraîner le desserrement des lèvres - elles demeuraient collées dans un sourire à la Vinci, énigmatique et sans malice -, les rides transversales se déplissèrent, élargissant leur zone d’action jusqu’à la brosse très drue qui lui faisait un casque poivre et sel sur le sommet du crâne.  

 Annick Le Scoëzec Masson, Mélancolie au Sud, Paris, L'Harmattan, 2004.



 

 

 



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