Sur les sentiers d'un pavillon des Song, poèmes
Dans la préface à l’un de ses derniers écrits, Le Studio de l’inutilité (2012), Simon Leys nous rappelle que, dans la Chine classique, « les lettrés, les poètes et les artistes avaient l’habitude de donner des noms évocateurs ou inspirés à leurs résidences, ermitages, studios ou ateliers ». En fait, précise-t-il, bien souvent ils n’avaient rien de tout cela, mais l’essentiel était « la réalité du Nom » -- et la réalité de l’écrit. J’en vois une remarquable illustration dans le nouveau livre de poèmes publié par Annick Le Scoëzec Masson : Brouillard sur le Pavillon Haut (Paris, Garamond, 2015).
A partir d’une poignée d’idéogrammes, de quelques détails de la peinture chinoise traditionnelle ou de quelques scènes évoquées par des poètes ou des conteurs de ces dynasties qui ont sédimenté nos mémoires, Annick Le Scoëzec Masson fait vivre – ou revivre : c’est tout un – sous nos yeux tout un monde peuplé de personnages légèrement décalés, d’animaux étranges et familiers, d’objets, de couleurs, de lunes et de brumes. Et les silhouettes immatérielles, les contours délavés des montagnes, des saules, les bruissements de la rivière sont aussi présents, tout à coup, que le tumulte et le brassage des « foules hagardes » qui saturent la chronique de nos temps insatiables. Sans bruit, l’auteur poursuit sa quête d’un autre temps, celui que nous laisse entrevoir et chérir
une maison simple, un écritoire,
un peu de vin, du riz,
le pinceau levé sur la page...
Après les miniatures mogholes de Suite indienne (2001), Annick Le Scoëzec Masson nous offre, avec son Brouillard sur le Pavillon Haut, quelques séquences chinoises de la meilleure veine qui nous invitent à flâner dans « un jardin d’iris et de pluie », en compagnie « des amis partis », à suivre, « au flanc des montagnes grasses », le sentier qui s’estompe et reluit au loin, et revient toujours au détour de nos souvenirs.
Jean-Christophe Monclar