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Lettres d'Extremadoure
6 juin 2012

Esplanade avenue et la Belle Epoque : sur un air d'Erik Satie

 

 

   «D’abord, elle avait tourné autour de la table avec de petits cris. Ses bras avaient esquissé les mouvements d’une danse gênée et un peu ivre. Elle s’était mordu la joue : « Quelle folie ! Vous allez encore me faire rire ! Vous vous êtes surpassé, ce soir ! Mais, aujourd’hui, pourquoi ? Vous savez en outre que, dernièrement, je mange si peu ! » « Et comment le saurais-je, il y a une éternité ! » Puis elle s’était enfin assise, avait commencé à picorer. « Ne faites pas de manières ! Il y a si longtemps !» La lumière des chandelles ravivait son teint. Des ombres bougeaient autour d’elle et sa robe, encore légère et comme libérée de tout ce qui pouvait sangler, lacer et comprimer, interdire au toucher les formes souples du corps, laissait bailler une manche le long de son bras. « J’ai tant de choses à vous dire ! avait-il murmuré. Ce soir, c’est moi qui dois vous parler ! Vraiment, une éternité ! » « Trois semaines à peine, mon ami, peut-être un mois ! » « La dernière fois que votre femme de chambre est passée me faire savoir, comme à l’habitude... » Lui annoncer que Madame serait au Bois à moins que, avait-elle ajouté, ce ne fût le jour où elle s’était rendue à Versailles. Oui, il savait qu’elle aimait son parc. Comment l’aurait-il ignoré ? Elle aimait son parc, avait-elle tenu à lui rappeler. Trianon, de plus en plus enchanteur, vous ne trouvez pas, et la saison, ces splendides soirs d’automne, la joie dont ils vous emplissaient le cœur sans jamais y instiller leur arrière-goût de mort ou, du moins, si cela venait à se produire, c’était plutôt comme une impérieuse envie que la mort vînt, foudroyante, d’une jouissance inconnue, phénoménale… Oui, peut-être Versailles, la dernière fois. Le marquis y avait une vieille amie. S’éloigner de temps à autre de l’infernal tourbillon. Mais n’était-ce pas plutôt à l’Opéra ? On jouait l’Orfeo de Monteverdi, n’est-ce pas ? L’avait-il rejointe dans sa loge ? Il faisait chaud encore, se souvenait-il. C’était à la fin de l’été, un bouillon ! Il n’avait pu rester jusqu’au bout, à moins qu’elle n’eût finalement, comme cela lui arrivait souvent, changé d’avis. Non, plutôt lui, avait-elle corrigé, qui avait décliné. Voilà pourquoi ils ne parvenaient plus à se souvenir du dernier rendez-vous. Ne disait-il pas souffrir tout récemment de petites indigestions ? Elle s’inquiétait de son état. »

 

                                                           Extrait d'Esplanade Avenue, Paris, L'Harmattan, p.86-87

 


 

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