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Lettres d'Extremadoure
14 novembre 2012

L'orientalisme dans Esplanade Avenue de Annick Le Scoëzec Masson

    Le modèle s’était enfoncé davantage dans son fauteuil, un vieux dagobert de récupération, avec petit sourire, un air de « Ne vous fatiguez pas ! Je ne suis pas de ce genre ! » Puis son visage avait changé d’expression pour s’enquérir aussitôt de l’endroit où Marvillèse avait acquis sa technique. Ce n’était pas la première fois qu’il le lui demandait et le peintre lui répondait toujours la même chose. La réputation de l’École des Beaux-Arts d’Alger n’était plus à faire. À l’époque, on y enseignait surtout le dessin. L’orientalisme, ce n’était pas vraiment son style. Il lui avait montré en les commentant un tas de croquis dont il n’était pas satisfait : quelques esquisses de Bab-el-Oued, des perspectives générales depuis les hauteurs de la ville, l’une ou l’autre scène de rue, le marchand de figues de Barbarie ou de guimauves, des biskris porteurs d’eau, un groupe d’Oranaises gesticulant dans leurs caftans multicolores, des matrones voilées de la tête aux chevilles se rendant au bain, épaulées de leurs duègnes, s’engouffrant dans les boyaux sombres et étroits de la casbah. Cela manquait d’authenticité, jugeait-il, rejetant le pittoresque dont il savait toutefois friands les Métropolitains. Peut-être parce que… Non, il ne se chercherait aucune excuse. Ni la maladie, ni tout ce qu’il avait vécu là-bas ne pouvait expliquer cette incapacité à rendre ce qui l’avait touché, pourtant, et touchait encore l’artiste en excursion sur l’autre rive de la Méditerranée. Il avait cherché sa voie, avait-il poursuivi, longtemps tâtonné, souhaitant partir. Finalement, on l’avait aidé, oui, cela il lui faudrait toujours le reconnaître. Il avait donc saisi l’occasion de faire le grand saut pour venir ici, travailler dans la solitude et dilapider ses économies. Celles de la pauvre femme et, aussi, l’argent du maître d’école. À ce jour, il ne savait plus rien d’eux.
Kervadeuc avait eu un sourire peu aimable et, même, un brin de sarcasme :
    - Toutes leurs économies, vraiment ?
 
Annick Le Scoëzec Masson, Esplanade Avenue, Paris, L'Harmattan, 2010, pp. 44-45.
 


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